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L’éducation : une multiple responsabilité partagée, diversifiée et (encore trop) inégalitaire
 

 

Centre Henri Aigueperse–UNSA Education

(Béatrice Laurent – Denis Adam)

 

Introduction : l'Ecole, mais pas uniquement…

Parler d'éducation en France, revient – du moins dans la compréhension du plus grand nombre – à l'école, tant celle-ci est constitutive de l'ambition républicaine d'une élévation, d'une émancipation par le savoir, mais aussi structurante de la société française. Si l'église s'est longtemps dressée au centre du village, depuis Jules Ferry, la maison d'école en a constitué le véritable cœur des 36 000 communes. La fermeture d'une école est toujours vécue comme un drame local, synonyme de la mort annoncée d'un lieu en perte d'habitants, de dynamisme, d'avenir.

Pour autant, et ce au moins depuis les années 1980, l'Éducation s'entend de manière plus globale, inscrite dans des politiques et des projets de territoires qui articulent les temps, les actions et les acteurs éducatifs dans et hors l'école. Cette approche large implique des partenariats nouveaux, renforcés, construits à l'échelle des territoires, impliquant l'État et les collectivités locales, personnels scolaires et animateurs, élus et associations.

L'éducation en est-elle alors moins nationale ? Plus qu'une adaptation, elle devient une déclinaison territoriale d'un cadre posé nationalement. Une souplesse plus cohérente avec la réalité des diversités et des attentes, mais qui n'est pas sans poser quelques questions : celles de ministres ayant des difficultés à ne pas s'immiscer jusque dans les détails des méthodes pédagogiques, réaffirmant ainsi –à contre-courant-  leur stature de patron d'un système centralisé ; celle plus problématique des inégalités entre territoires, entre établissements, entre milieux sociaux, qui gangrènent la promesse émancipatrice, portant aux nues l'égalité des chances alors que c'est d'équité et de prise en compte des pluralités de parcours dont a besoin l'école pour faire réussir chacune et chacun.

Sans prétendre à l'exhaustivité dans l'appréhension d'une telle question, cet article vise à analyser l'éducation dans ce contexte et à ouvrir quelques pistes pour la situer dans une perspective d'avenir.

Une responsabilité (de plus en plus) partagée

Majoritairement éducation rime avec école et système scolaire. Elle est donc identifiée à l'appellation d'éducation nationale et est alors perçue comme un bloc de programmes et d'organisations structuré nationalement et porté par une armée d'enseignant.e.s, dépendant des seules injonctions du ministère de la rue de Grenelle et de son ministre, ses ministres, devrait-on dire, tant leur durée d'exercice est souvent très courte (deux ans en moyenne)[1]. Cette vision est largement faussée. Certes, le système scolaire français demeure pour l'essentiel centralisé, mais l'éducation est une mission largement partagée, même si l'école en reste un pilier essentiel.

Un partage de responsabilités entre l'Etat et les territoires.

La répartition entre le rôle de l'Etat et celui des collectivités territoriales sert souvent d'exemple pour expliquer la décentralisation des années 1982-83, tant elle apparait simple. A l'Etat les contenus d'enseignement, la délivrance des diplômes, l'organisation des parcours scolaires ainsi que le recrutement et la gestion des personnels (dont majoritairement 800 000 enseignant.e.s sur 1,2 millions d'agents de l'éducation nationale). Aux mairies la construction et l'entretien des écoles primaires, aux départements ceux des collèges, aux régions, ceux des lycées.

Mais dans les faits, et avec le temps, les choses se sont complexifiées. Statutairement des droits nouveaux ont été accordés aux territoires comme une partie des missions d'information et d'orientation ou l'élaboration de la carte des formations professionnelles qui a été confiée aux régions.

Le transfert des personnels ouvriers et de services des collèges et lycées respectivement aux conseils départementaux et régionaux, conduisent ceux-ci à revendiquer dorénavant la décentralisation des gestionnaires de ces établissements, comme responsables de ces agents.

Dans cette même logique, ces collectivités se positionnent également pour gérer la santé scolaire[2] et "récupérer" ainsi les médecins et infirmier.ères scolaires.

Le développement du numérique renforce également la place des collectivités territoriales dans le fonctionnement scolaire. En effet, le choix des équipements influe directement sur la manière de faire classe. L'équipement des salles en informatique, le choix de tels ou tels logiciels, la fourniture à tous les élèves de tablettes remplaçant les manuels scolaires, en sont des exemples. L'aménagement des locaux, d'espaces verts dans les cours de récréations, le choix d'un mobilier modulable ou non…en sont d'autres. La proposition d'un budget participatif pour un établissement scolaire influe encore davantage.

L'orientation donnée ainsi par les élus territoriaux, souvent construite en concertation avec la communauté éducative, sans révolutionner les pratiques pédagogiques, les influence et peut amener à les faire évoluer.

Cette dimension de politique éducative ne se limite pas à l'école. Les temps dits "périscolaires" ont en effet pris une importance grandissante en lien avec une évolution sociétale assez récente. Mode de garde pratique et peu cher (voire gratuit) pour des parents qui travaillent et dont les horaires ne correspondent pas à ceux de l'école, ce temps se veut également un temps éducatif, à la charnière entre le scolaire et les loisirs. A côté des enseignants, cohabitent donc d'autres professionnels : les animateurs et animatrices.

La cohabitation entre personnels scolaires et animation socioculturelle

Héritière de l'éducation populaire, développée à partir des années 1970 dans des structures associatives, l'animation socioculturelle s'est progressivement imposée dans les mairies par le biais du centre de loisirs du mercredi. Cela a conduit la fonction publique territoriale à définir un cadre d'emploi d'animateur en 1997.

Dès le début des années 1980, la complémentarité entre le travail scolaire et les activités socioculturelles a fait l'objet de dispositifs. Certains ont eu pour ambition de modifier la répartition des temps de vie des enfants, en s'inspirant des résultats des études de la chronobiologie. D'autres, ce qui est aujourd'hui le cas avec le « plan mercredi » ou les « projets éducatifs de territoires » (PEDT), visent davantage une complémentarité.

Pour autant, ce sont deux systèmes qui se croisent sans toujours se rencontrer, tant les différences demeurent importantes. Bien qu'une filière de formation professionnelle existe dans l'animation, une majorité des animateurs ne sont titulaires que du BAFA, brevet non professionnel, pensé initialement pour l'encadrement occasionnel des centres de vacances et de loisirs. Dans le même temps, le niveau de recrutement des enseignants est passé à bac +5. Alors que ceux-ci ont un programme obligatoire et des objectifs définis à atteindre, les animateurs interviennent avec un public non contraint et sur des activités laissées à leur libre choix. Les méthodes mêmes d'intervention sont très différentes, bien qu'une certaine tendance à la « scolarisation des loisirs des enfants » se développe[3]. En effet, la lutte contre l'échec scolaire et l'injonction à la réussite éducative tendent à devenir prescriptives jusque dans l'animation.

Le point commun est qu'animateurs et enseignants s'adressent aux mêmes enfants, sur un même territoire. Leur coopération apparait donc comme essentielle. Pourtant, sans élaboration d'une culture commune – qui passe par la formation et la conduite de projets partagés - elle reste souvent difficile.

Cette même difficulté se rencontre également au niveau du lien avec les familles

Une coéducation encore à construire entre parents et professionnels éducatifs

Nous n'aborderons pas ici la question de l'éducation familiale qui relève des seuls parents, afin de rester dans l'approche des relations avec les professionnels de l'éducation. Celles-ci demeurent souvent tendues avec les parents, pour des raisons multiples. Si les professionnels reprochent aux parents leur désengagement éducatif, les parents souffrent trop encore d'une mise à distance et d'un manque d'information quant aux contenus, aux objectifs, aux déroulements de ce que font leurs enfants dans les lieux éducatifs, qu'il s'agisse de l'Ecole, du centre de loisirs, des ateliers socioculturels… Pire, les seules rencontres, perçues et vécues comme des convocations, se font généralement en cas de problème et renforcent donc encore la tension, surtout dans le cas de parents ayant eux-mêmes vécus des difficultés scolaires ou éducatives. Construire une coéducation qui ait du sens nécessite d'établir une confiance réciproque et donc d'échanger régulièrement en dehors des périodes de crises et de crispations.

 

A cette multiplicité des acteurs de l'Education correspond également une diversité territoriale.

La diversité des situations territoriales

Avec un financement de 12,64 milliards d'euros pour le premier degré, 10,1 milliards d'euros pour le second degré et 2,5 milliards d'euros pour l'enseignement supérieur, en 2020, les collectivités sont les secondes contributrices de la dépense d'éducation en France après l'Etat. Si un effort important a été réalisé quant à la construction et à la rénovation des bâtiments scolaires depuis les premières décentralisations, une baisse de la part des collectivités territoriales est sensible depuis 2015, passant de 23,8% en 2015, à 23,1 % en 2019 et à 22,3% en 2020. Ces données sont variables d'un territoire à un autre, en fonction de sa richesse, mais également du choix politique de ses investissements dans le domaine éducatif. Mais les aspects financiers ne sont pas les seules différences entre territoires.

Les espaces urbains

Le champ éducatif en territoire urbain et péri-urbain est certainement le mieux connu, le plus étudié, mais aussi le plus médiatisé. Il ne constitue pas pour autant une unité. Il convient de distinguer les centres-villes de leurs périphéries, mais également les villes en fonction de leur taille et de leur population. La gentrification des centres-villes a conduit à renforcer une population d'élèves issus de classes privilégiées dans leurs écoles et établissements scolaires, même si cette donnée n'est pas avérée partout (comme dans certains arrondissements parisiens ou dans le cœur de ville de Marseille, par exemple). Souvent l'Education nationale a elle-même contribué à renforcer cet "embourgeoisement scolaire" en y plaçant les classes les plus prestigieuses (classes préparatoires, classes européennes…) et les enseignants les plus expérimentés[4]. Les efforts actuels cherchent à réintroduire de la mixité sociale, ce qui n'est pas simple, car de nombreux éléments entrent en ligne de compte bien au-delà de la seule carte scolaire.

A l'inverse, les quartiers des banlieues souffrent d'une paupérisation. La « politique de la ville », instituée depuis le milieu des années 1980 a imposé un volet éducatif, en particulier avec la détermination d'un zonage pour l'éducation prioritaire. Les ZEP, puis dorénavant les REP et REP+, bénéficient de moyens supplémentaires afin officiellement de « donner plus à ceux qui ont moins » dans une démarche d'égalité des chances, discutable dans la mesure où il s'agit moins de chance (donc de hasard) que de lutter contre un déterminisme social, nous y reviendrons. L'efficacité de ces mesures reste pour beaucoup à démontrer dans la mesure où la conservation de moyens supplémentaires dépend du maintien en éducation prioritaire. Mais, là encore, des situations très diverses cohabitent et les comparaisons sont peu pertinentes.

La ville est également caractérisée par son offre en équipements. Si les associations n'y sont pas forcément plus nombreuses ou davantage dynamiques que dans le monde rural, les structures socioculturelles, culturelles et sportives y sont plus présentes. MJC, maisons de quartiers, centres sociaux, médiathèques, musées, théâtres, cinémas, stades, gymnases, piscines… – ou leur équivalent - existent dans chaque ville, alors que souvent il faut faire plusieurs kilomètres pour s'y rendre dans la campagne, d'autant plus depuis la fermeture de nombreux foyers ruraux.

Moins connue et étudiée, nous proposons d'insister ici sur l'éducation dans les territoires ruraux.

Les territoires ruraux

 

Au cœur des communes, l'école rurale constitue depuis le XIXe siècle à la fois un idéal - celui de l'éducation pour tous, dans chaque village - mais aussi aujourd'hui un repoussoir, puisqu'elle est souvent accusée de limiter les horizons culturels, de tolérer, sinon d'encourager, le repliement, et de participer ainsi à l'inégalité des chances scolaires.

 

Or, l'exode rural jusque dans les années 60 puis le déclin démographique, se sont traduits par des fermetures de classes, puis d'écoles et bientôt de collèges. Dès lors, une question revient régulièrement : les élèves ruraux sont-ils défavorisés ?

En 1995, la DEPP et les inspections générales mènent une enquête très approfondie sur le système éducatif en milieu rural. Elle met en évidence trois caractéristiques majeures :

          - Les résultats des élèves ruraux sont proches de ceux des élèves urbains à l'école primaire et à l'entrée en sixième, souvent même meilleurs

          - Les résultats sont nuancés mais ne sont pas négatifs pour les classes multi-cours.

          - La rupture entre élèves ruraux et urbains se manifeste au collège : les orientations sont très différentes, avec une sur-orientation des élèves ruraux vers le lycée professionnel.

 

La question est donc de savoir si ces conclusions sont toujours valables, puisque 27 années se sont écoulées depuis l'enquête DEPP-IG.

C'est ce que le rapport de la Mission ruralité de l'IG a cherché à savoir en 2019.

Sa synthèse est claire :

          - L'espace rural peu dense et très peu dense n'apparaît pas en sous-réussite scolaire au regard du profil social des élèves.

          - La sous-poursuite d'études supérieures perdure.

 

La sous-poursuite d'études supérieures est donc bien la caractéristique durable du "rural éloigné" et relève de nombreux facteurs. Elle entraine « l'assignation à résidence », c'est-à-dire le fait de rester dans son village, et de ne pas avoir la capacité à envisager d'autres horizons à plus de 20 km. C'est ce que raconte Benoit Coquard dans « Ceux qui restent » sous forme d'enquête sociale, de même pour Yaelle Ansellem-Mainguy dans « Les filles du coin » ou Nicolas Mathieu en le romançant dans « Leurs enfants après eux ». Les collégiens et lycéens sont confrontés à l'éloignement géographique, à l'absence d'équipements culturels ou universitaires proches, à l'étroitesse du bassin d'emploi régional, au manque de dynamisme général du territoire ou encore développent un sentiment d'illégitimité pour une ambition diplômante.

Pourquoi, la sous-poursuite d'études supérieures est-elle un problème en soi ? Après tout, si un diplôme de niveau CAP ou Bac permet de trouver du boulot, de s'installer, de vivre autonome et citoyen, que demander de plus ? Rien, si c'est un choix, une réussite personnelle, une promesse de vie sociale épanouie. Mais si c'est subi parce que l'orientation est autocensurée, parce qu'être étiqueté « rural » empêche tout grand projet d'avenir, là, on peut dire que la république manque sa promesse d'égalité devant le droit à l'éducation de toutes et tous.

L'école ne peut pas tout, toute seule, mais elle peut prendre sa part, ses initiatives si elle s'ouvre aux autres, celles et ceux des mondes associatif, économique, politique… La politique éducative nationale, si elle manque d'ambition et de clarté pour la ruralité, peut se compléter par une politique locale. C'est l'exemple que nous mettons ici en lumière, celui du département de la Haute Saône, région Bourgogne-Franche Comté.

 

Établissements de services ou collèges ouverts en Haute saône

Après plusieurs années de réflexion, expérimentation à petite échelle, le département a déployé un conventionnement avec ses collèges volontaires, « Collèges Ouverts ».

Une plus grande ouverture de l'établissement sur l'extérieur doit permettre au territoire de se réapproprier l'outil scolaire. Par le prisme des besoins essentiels (éduquer, accéder à la culture, se nourrir, se soigner, être hébergé), cette ouverture doit inciter la population à construire le lien avec son établissement scolaire de proximité, le collège, et ce dernier à prendre une part encore plus active à la vie locale. Le principe de « collèges ouverts »   est d'étendre leur ouverture en dehors du temps scolaire pour offrir un meilleur service aux populations, et d'ouvrir aux forces vives locales les portes du collège (mais aussi des écoles) en temps scolaire pour en améliorer la qualité éducative. Pour mener à bien cette initiative, le Département, l'EPCI, la commune et le rectorat (ou DSDEN) peuvent intervenir financièrement et en ressources humaines par convention triennale. Ils mobilisent leur expertise technique et leurs moyens d'intervention pour offrir à la population des services dont elle est dépourvue. L'expérience « Collèges ouverts » est le point d'appui des axes développés par le département : inclusion numérique, culture (en particulier lecture publique), circuits courts (Programme alimentaire territorial), santé (PMI et couverture d'accès aux soins), aide sociale à l'enfance.

 

Le cas du collège de Faucogney

 

Ainsi pour application concrète, le collège de Faucogney et la mer, dans le cadre de cette convention bénéficie d'un agent du département en plus pour développer une « option agricole » avec des professeurs impliqués : construction et entretien d'une serre de maraichage, enclos avec moutons, poules et lapins.

 Le projet intitulé KM0, dans le même collège, offre à la population locale un marché fermier une fois par mois, avec livraison de paniers en pré-commande. Encadrés par le CPE et des professeurs, les élèves ont visité, documenté, analysé les fermes partenaires pour sélectionner leurs produits et les revendre : confitures, fromages, viandes, truites fumées, légumes de saison. La marge consentie est dévolue aux projets sportifs et culturels du collège, comme le financement d'un voyage scolaire sur le GIRO italien pour la classe à option cyclisme.

L'infirmière scolaire avec le REPPOP (Réseau de Prévention et de Prise en charge de l'Obésité Pédiatrique) organise avec une professeure de maths volontaire des séances de réveil musculaire (« Réveille ton corps ! »), plusieurs matins par semaine avant le début des cours, séances ouvertes aux habitants du village et alentours.

Le GRETA propose des séances d'initiation numérique dans la salle informatique du collège, pour lutter contre l'illectronisme, et l'entreprise SEB située juste derrière le collège y envoie ses salariés demandeurs.

La professeure documentaliste ouvre son CDI à la population avec l'association « lire et faire lire » et en fait également un lieu de "click and collect" pour livraison de commande de livres à la librairie éloignée et située à Vesoul, ville préfecture. Le collège est devenu le cœur de la vie sociale, culturelle, éducative, et de plus travaille en « école du socle » avec l'école primaire sa voisine pour faire bénéficier de ses équipements aux enfants dès leur plus jeune âge : gymnase partagé, salle informatique, salle de musique, CDI, …[5]

 

Une réalité encore différente en outre-mer

 

Plus qu'isolés, les territoires ultramarins souffrent de leur éloignement, géographique certes, mais aussi d'un manque de prise en compte de leurs réalités, des difficultés qu'ils rencontrent, des moyens et des approches spécifiques dont ils ont besoin. Trois caractéristiques majeures peuvent être mises en évidence pour illustrer les difficultés de l'Education en outre-mer. Tout d'abord la grande pauvreté locale à la fois d'une grande partie des habitants, mais également des collectivités ce qui se traduit par une impossibilité d'investir à la hauteur des besoins, tant en personnel, en matériel que dans le bâti scolaire souvent mal adapté (vieillissant, ne respectant pas les normes sismiques, mal climatisé…). La fragilité des formations universitaires et le système d'un mouvement national des enseignants conduit à un turn-over important de métropolitains de passage et l'envoi à distance des lauréats issus des territoires ultramarins. Cela entraine une rupture entre les contenus des enseignements et les réalités locales. Enfin, dans cette même dimension culturelle, la forte présence d'enfants allophones, insuffisamment prise en compte faute de structures adaptées (UP2A, enseignants de créole…) crée une distance entre la langue du quotidien et celle de l'Ecole, entre la vie familiale et la scolarité et donc nourrit les difficultés voire l'échec scolaire et renforce les inégalités, déjà très fortes dans le système d'éducation français.

 

Les inégalités sociales et scolaires

Le poids des déterminismes sociaux

L'école française est la plus inégalitaire de tous les pays de l'OCDE selon les évaluations internationales. Plus qu'ailleurs, l'origine sociale des enfants influe considérablement sur leur réussite scolaire en tant qu'élèves. Cette inégalité, qui existe certes en dehors de l'Ecole (de par la politique du logement urbain par exemple), n'est pas compensée par l'Ecole, elle y est au mieux maintenue, voire au pire amplifiée. Construite sur une injonction paradoxale, l'école bâtie par Jules Ferry –et qui fonctionne encore aujourd'hui selon les mêmes attendus implicites – se doit à la fois de faire monter le niveau de chaque enfant ou jeune ; et, en même temps, d'en élever (d'où le titre d'élève) certains plus que les autres afin de former l'élite du pays. Ce modèle, qui depuis son origine a conduit à une séparation[6], se heurte aujourd'hui à la donnée supplémentaire de la massification et de l'allongement de la scolarité. Tous les enfants vont à l'école jusqu'à 16 ans, une majorité jusqu'à 18, encore beaucoup au-delà. Mais tous ne réussissent pas les apprentissages avec les mêmes réussites.

La « culture scolaire » est-elle si commune ?

Evidemment, il ne s'agit pas de penser que les enfants des milieux modestes auraient des capacités intellectuelles moindres. Il est même contreproductif de les penser moins impliqués dans leurs apprentissages car fainéants. De fait le décalage est essentiellement une question de "culture". L'école s'appuie sur une culture spécifique, élitiste, savante, qui sert de base à son enseignement. Dans cette culture, les élèves issus des milieux privilégiés, intellectuels, enseignants, se reconnaissent car elle correspond à la leur. En revanche, elle laisse de côté ceux qui en sont les plus éloignés. L'exemple –souvent utilisé, même s'il a tendance à simplifier les choses– de la lecture en est une bonne illustration. Lorsqu'il n'y a ni livres, ni parents lecteurs à la maison, il est plus difficile de comprendre à quoi cela sert d'apprendre à lire, d'en avoir envie et donc d'entrer facilement dans l'apprentissage de la lecture.

Cette différence culturelle sert de base de sélection et donc d'orientation. Chaque "aiguillage" permet d'éloigner ou de rapprocher les élèves de la voie "royale" que sont les grandes écoles – autres spécificités du système scolaire français. Ainsi, la probabilité d'obtenir un diplôme de niveau bac + 5 est de 40 % pour les enfants de cadres, mais de 4 % pour ceux d'ouvriers : soit 10 fois moins !

La dualité scolaire

Cette inégalité se traduit également dans une autre des caractéristiques de l'Ecole en France, celle de la dualité scolaire entre école publique et école privée. La récente diffusion des indices sociaux des élèves de collèges et lycées fait apparaître une sorte de « ségrégation scolaire ». Les élèves qui fréquentent les établissements privés sont majoritairement issus des classes privilégiées, alors que les élèves issus des classes populaires sont plus largement inscrits dans les établissements publics. Or, rien ne conditionne le financement des écoles privées sous contrat par l'Etat et les collectivités territoriales à un quelconque effort de mixité sociale. Bien au contraire, c'est souvent pour échapper au zonage de la carte scolaire et éviter une certaine mixité que les familles aisées font le choix des établissements privés.

Conclusion : pour une émancipation de tou.tes et de chacun.e

De nombreuses réformes émaillent l'histoire de l'Ecole en France. Trop car elles n'ont souvent ni le temps de se mettre en place ni celui d'en évaluer les résultats. Aussi aucune n'a jusqu'à présent permis de revenir à l'essentiel d'une Education partagée, qui émancipe chacune et chacun en s'appuyant sur la professionnalité de personnels formés, reconnus et valorisés dans leur mission. Si le constat d'un système éducatif en difficulté est largement partagé, les remèdes le sont moins.

L'UNSA Éducation et ses syndicats portent les revendications d'une institution éducative ayant les moyens d'évoluer sur une école plus ouverte, aux rythmes mieux adaptés aux enfants, permettant une plus grande implication des élèves dans leurs apprentissages, une orientation choisie ouverte aux mobilités, des enseignements transversaux et pluridisciplinaires qui font davantage confiance aux personnels éducatifs.

Pour cela, les politiques éducatives doivent s'appuyer sur des professionnels mieux formés (de manière initiale et continue) en particulier aux pédagogies actives et participatives, Des cultures professionnelles mieux partagées en inter-métiers, des alliances éducatives, Une formation initiale et continue des personnels d'éducation avec des temps communs entre enseignants et animateurs

L'UNSA soutient l'impérieuse nécessité de conduire une démarche volontariste pour favoriser la mixité sociale et scolaire. Elle rappelle que l'éducation coûte, mais qu'elle est un investissement pour l'avenir rentable même du point de vue des économistes


[1] Ses ministres devrait-on dire, tant leur durée d'exercice est souvent très courte (deux ans en moyenne), à l'exception récente de Jean-Michel Blanquer qui en a été titulaire tout au long du mandat présidentiel de 2017 à 2022.

[2] En analogie avec la PMI pour la petite enfance

[4] Par le poids de l'ancienneté dans les barèmes de mutation.

[6] Officiellement par le mérite, mais de fait plus réellement par l'argent.

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